Travail des Enfants au Cameroun : Décryptage

Des lois et des lacunes : ces enfants qui travaillent au Cameroun

Le 12 juin marque la journée mondiale contre le travail des Enfants. Cette journée vise à sensibiliser le public à la situation alarmante des enfants contraints de travailler dans le monde entier.

Selon l’Organisation Mondiale de Travail, sont considérés comme enfants les jeunes de 5 à 17 ans. Cependant, les organismes de statistiques comme la Banque Mondiale ou l’Institut National de Statistiques du Cameroun se concentrent plutôt sur la tranche des 5 à 14 ans car c’est la limite de scolarisation obligatoire.

Où sont ces petites mains invisibles qui accomplissent toute sortes de tâches ?

En 2022, l’UNICEF, la Banque Mondiale et L’Organisation Internationale du Travail évaluent à 160 Millions le nombre d’enfants qui effectuent au moins une heure de travail voire des journées complètes.

Tableau issu des données de l'UNICEF

Il est alarmant de constater que 28% des enfants de 5 à 11 ans et 35% de ceux âgés de 12 à 14 ans qui travaillent ne sont pas scolarisés.

Mais ce qui est encore plus préoccupant, c’est que 79 Millions d’entre eux exercent des activités dangereuses, voire les pires formes de travail comme l’esclavagisme, la prostitution ou l’enrôlement comme enfants soldats.

Contrairement à ce que nous laissent entendre les médias lorsque des drames se produisent, la majorité d’entre eux ne se trouvent pas au Bangladesh, en Inde ou dans les pays d’Asie. Le tableau ci-dessous établit une autre réalité.

Tableau issu des données de l'Organisation Internationale du Travail

En Afrique subsaharienne, l’explosion démographique a conduit 16,6 Millions d’enfants supplémentaires sur le marché du travail au cours de ces quatre dernières années.

Qu'est ce qui favorise la mise sur le marché du travail des enfants ?

La première raison qui nous vient à l’esprit est, évidemment, la pauvreté.

Dans l’Afrique en général et au Cameroun en particulier, l’impact de la pauvreté est plus important dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Lorsque les ressources parentales sont faibles, le travail des enfants devient une nécessité indispensable pour rester, au moins, au niveau du seuil de subsistance.

Bien que le Gouvernement camerounais ait ratifié dès 1993 la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) et l’ait intégré dans son code du travail : « Aucun enfant ne doit être employé dans une entreprise avant l’âge de 14 ans » (Article 86) et que la scolarité soit devenue obligatoire jusqu’à 14 ans, l’éradication du travail des enfants est loin d’être une réalité, pourtant les sanctions prévues sont sévères.

*Devinette: Quel est le seul pays à n’avoir pas ratifié cette convention ? (Réponse à la fin de l’article.) 

Ces mesures, certes, ont eu un impact positif sur la Durée de travail. Le revers de la médaille est que les jeunes doivent jongler entre travail scolaire et travail rémunérateur, souvent au détriment de leurs études. Le Ministère de l’Enseignement de Base a établit le calendrier scolaire 2023-2024, prévoyant 36 semaines de cours et 34h30 par semaine. Les enfants fournissent, en plus et en moyenne, 11h40 de travail lucratif hebdomadaire. (Banque Mondiale)

Quelles sont les composantes générant le travail des enfants ?

les banques

Elles auraient dû jouer un rôle crucial dans le développement.

Le système bancaire, sous la colonisation, était centré sur les exportations et sur le commerce des matières premières. Elles agissaient pour le plus grand profit des entreprises étrangères. La population a toujours été exclue de ce secteur.

La crise de 1980, qui a vu la faillite et la fermeture de nombreuses banques, a provoqué d’importantes pertes financières, si ce n’est la ruine, des ménages et entreprises. La méfiance des Camerounais persiste encore.

Tableau issu des données Cameroun de la Banque Mondiale

L'accès au crédit

La moitié de la Population possède un compte de dépôt en 2021 et la répartition est en faveur des fournisseurs d’argent mobile par rapport au secteur formel.

Les petites et moyennes entreprises, majoritaires, appartiennent au secteur informel. Elles génèrent 35% du PIB et fournissent 70% des emplois. Or toutes souffrent de l’accès au crédit.

Les conditions d’obtention d’un crédit sont drastiques. Posséder un compte bancaire depuis plusieurs années, avoir un revenu stable et constant, avoir une garantie (caution ou hypothèque), avoir une épargne. Tout cela est souvent inaccessible aux petits entrepreneurs. Pour couronner le tout, le taux de crédit dépasse les 15% (2022). Les entreprises ont donc recours à l’autofinancement (76%) et aux associations informelles de crédit à court terme qui ne demandent aucune garantie comme les Tontines (24%). Cependant celles-ci sont dans le collimateur du trésor public depuis quelques années.

La possession d’une entreprise ou d’une propriété foncière (ex : terres agricoles ou exploitation forestière) tend à augmenter l’emploi des enfants tant en zone rurale qu’en zone urbaine. Le travail des enfants devient la meilleure solution : l’apprentissage « sur le tas » est plus rentable que celui fourni par le système éducatif coûteux et il pérennise l’entreprise familiale.

L'éducation

Certes, l’école primaire est devenue « gratuite », mais qu’en est-il des études secondaires et universitaires ? Les frais sont élevés. C’est un investissement sur le long terme et les débouchés dans le secteur formel (grandes entreprises) sont très incertains. La faiblesse des revenus amène les parents à se poser la question du rendement de la scolarisation.

Les chocs sur les revenus

Un mariage, une dot, un enterrement sont des évènements qui affaiblissent les revenus mais sont généralement absorbés par le biais des Tontines. Mais qu’en est-il en cas d’interventions médicales lourdes ? Il n’y a pas de couverture sociale universelle et les mutuelles individuelles sont trop coûteuses.

Le tableau ci-dessous est révélateur :

Tableau issu des données Cameroun de la Banque Mondiale

Les risques de dépenses appauvrissantes et catastrophiques ont un impact terrible et surtout durable sur les revenus des ménages et ses capacités à investir sur leur propre avenir et celui de leurs enfants.

est-ce que cela justifie l'exploitation ou le travail des enfants ?

Notre première et saine réaction est de dire NON !

Cependant, face à la réalité et à la lumière des éléments exposés, on peut envisager des circonstances atténuantes au travail mais certainement pas à l’exploitation des enfants . L’incertitude du présent, l’imprévisibilité de l’avenir sont autant de paramètres à prendre en compte. Peut-on préservé le minimum vital aujoud’hui sans mettre en péril l’avenir des enfants ? L’équation est difficile.

Depuis des décennies, le gouvernement camerounais et les institutions internationales mettent en place des mécanismes pour améliorer la vie de la population et rendre le recours au travail des enfants aussi faible que possible. Les efforts tardent à porter leurs fruits. À suivre …

*Réponse : Les États Unis. Les conservateurs, essentiellement le Parti Républicain (Reagan, les Bush père et fils, Trump) s’y oppose car elle serait contraire à la constitution.

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